INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Hocquenghem journaliste
Categories: Histoire

Le journalisme de Guy Hocquenghem

Dans la presse underground des années 1968, des plumes polémiques démolissent les fondements de l’ordre social. Le journaliste Guy Hocquenghem illustre cette période. 

Avec la contestation des années 1968 s’ouvre une libération de tous les aspects de la vie. Guy Hocquenghem relie l’émancipation sociale et la libération des corps. Il participe aux mouvements de lutte homosexuels. Mais, durant son militantisme gauchiste, il a dû cacher son orientation sexuelle. Il participe au groupe maoïste spontanéiste Vive la Révolution (VLR), qui publie le journal Tout !, puis au Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR).

Mais Guy Hocquenghem publie également de nombreux textes. Il est journaliste et romancier. Il écrit des reportages et des chroniques, des articles polémiques et des fictions. Il publie dans la presse underground, notamment Actuel et Libération. Jusqu’à sa mort, en 1987, il reste fidèle à ses idées et à l’esprit libertaire de Mai 68. Un recueil d’article, dans le livre Un journal de rêve, permet de découvrir ses articles de presse.

Révolte libertaire des années 1968

 

Guy Hocquenghem incarne bien l’esprit Sexe, drogue et rock n’roll des années 1968. Il consacre un article à la mort de Jimi Hendrix, figure de la musique pop. On est loin de la grisaille gauchiste et de son élitisme culturel. « On peut combiner la révolte la plus poussée avec la maîtrise la plus absolue de l’expression musicale », souligne Guy Hocquenghem. Mais il regrette que les luttes sociales restent éloignées de la musique pop. En Angleterre, les Beatles jouent même le rôle de calmant révolutionnaire. En France, la Force de Libération et d’intervention pop s’appuie sur la musique en dehors des circuits commerciaux.

La politique et la musique doivent être liées. Des fêtes tournent à l’émeute après une intervention policière. La création musicale doit prolonger la contestation de Mai 68 qui ne doit pas sombrer dans la routine gauchiste ou dans la récupération marchande. « L’angoisse d’après-Mai, c’est qu’on a envie de créer, et pas simplement de remettre en question. Reste à savoir si les bourgeois iront plus vite que nous dans l’exploitation de ce désir », analyse Guy Hocquenghem.

La drogue fait l’objet d’une importante répression. Les médecins et les politiciens légifèrent sur la santé et la sexualité. Ils veulent encadrer les comportements et imposer une norme. « Tout le reste de leur discours n’est que la sauce idéologique destinée à présenter sous un jour scientifique la loi de la société », observe Guy Hocquenghem. Pourtant le haschisch permet aussi les rencontres et la sociabilité.

Cette drogue douce reste comparée à l’héroïne. Mais l’interdiction des drogues renvoie aussi à une société répressive qui veut imposer la discipline du travail. « Si les jeunes fument et si la plupart du temps après avoir fumé ils n’ont rien envie de faire, c’est que la principale liberté qu’ils peuvent arracher au système, au moins subjectivement, c’est de ne rien faireDans une société fondée sur le respect du travail, c’est une transgression », analyse Guy Hocquenghem.

Les textes gauchistes abandonnent le plaisir de l’écriture. Les maoïstes estiment que les textes doivent être mis au service d’une juste cause. Le style est considéré comme une esthétique bourgeoise. « J’ai travaillé pour des journaux gauchistes, je sais très bien ce qu’est l’usage utilitaire de l’écriture, simple véhicule d’une pensée « collective » juste, où le plaisir n’intervient pas », témoigne Guy Hocquenghem. Le journaliste ne renonce pas au plaisir du style au nom de l’austérité militante.

Chroniques politiques

La grève de la SFP (Société française de production) révèle la médiocrité de la culture d’Etat. Les syndicats se révèlent surtout corporatistes et bureaucratiques, loin de toute forme de créativité. La tentative d’autogestion de la SFP ne propose que des spectacles vulgaires et attendus. Guy Hocquenghem observe une « grève centrée autour de la défense du monopole artistique fonctionnaire et étatique » qui ne produit que « de l’humour de pontes syndicaux et du spectacle pour attardés mentaux ».

Mais la télévision française propose aussi des débats de société sur des sujets sensibles. Des chroniques évoquent des émissions sur la prostitution ou sur les violences conjugales. En 1979, Guy Hocquenghem analyse l’évolution de l’urbanisme à Paris. Des quartiers sont rénovés. La construction des Halles avec ses nombreux commerces participe également à cet embourgeoisement urbain.

En 1979, la Nouvelle Droite apparaît comme une menace sérieuse. Le Nouvel Obs se contente d’une dénonciation morale. Guy Hocquenghem préfère prendre au sérieux les idées de l’idéologues Alain de Benoist. Il semble bien plus dangereux que la vieille droite d’un Bernard-Henri Lévy qui évoque le Droit et la Loi contre la liberté. Au contraire, Alain de Benoist propose une critique de l’universalisme et de l’ethno-centrisme. Il sort des vieux schémas idéologiques pour piocher des idées jusqu’à la gauche radicale. Il délaisse la vieille politique de la conquête du pouvoir pour l’influence intellectuelle. La Nouvelle Droite s’appuie sur la biologie et la recherche scientifique pour proposer un ethno-différencialisme.

Aux Etats-Unis, le mouvement gay organise une grande marche à Washington. Les lesbiennes sont également nombreuses. « En remontant l’avenue des ministères, le cortège, qui a défilé pendant plus de quatre heures, est passé juste au pied de la Maison Blanche et je dois dire que le spectacle était émouvant de ces milliers de pervers tous en costumes posant devant le symbole du plus puissant pouvoir politique au monde », décrit Guy Hocquenghem.

Contre le conformisme des journalistes

 

Le journaliste de Libération dénonce la dérive de son entreprise à partir de 1981. Les anciens gauchistes se rallient au socialisme d’Etat et au président Mitterrand. Ils expriment d’autant plus de dévotion et de servilité qu’ils figurent parmi les ralliés de la dernière heure. « Et ne pas rêver qu’en foudroyant les « anarchistes », des journalistes sortis de l’extrême gauche pourront enfin rejoindre le train présidentiel », ironise Guy Hocquenghem.

Le journaliste aborde également des sujets comme l’art ou le cinéma. Il écrit sur un film de Sidney Pollack, Absence of Malice. Le mythe des médias comme incarnation de la vérité et de l’honnêteté est attaqué par le cinéaste. « Le journalisme salvateur, pilier de la constitution non écrite des Américains et des valeurs intellectuelles en France, en prend un sacré coup », souligne Guy Hocquenghem. Sidney Pollack n’évoque pas un scandale de corruption mais décrit le travail ordinaire d’une journaliste. La mythologie de « l’objectivité » déforme la réalité. La recherche du bon article et l’arrivisme de la journaliste provoquent des conséquences désastreuses. « On appréciera la cruauté de la description des mécanismes d’un journal parfaitement honnête au demeurant », commente Guy Hocquenghem.

En 1985, Gay Pied Hebdo abandonne le journalisme militant pour la routine du média consensuel. C’est dans ce magazine que Guy Hocquenghem dénonce cette dérive. « Un journal qui respecte la tranquillité de ses lecteurs, c’est un hôpital ou un dortoir », ironise Guy Hocquenghem. Il dénonce ce nouveau conformisme de la presse des années 1980.

Il choque les lecteurs avec un article sur l’insipide SOS Racisme qui remplace la lutte politique par le marketing. « De l’anti-racisme bon genre, humanitaire, philanthropique, cureton en somme ! », moque Guy Hocquenghem.

Journalisme undergound

Ce recueil d’articles permet de faire revivre la plume de Guy Hocquenghem. Il incarne un journalisme politique, sans sombrer dans le ronron du ton militant. « Et ce que ses articles donnent à lire, c’est un refus du journalisme, de ses formes dominantes et instituées, pour en proposer une nouvelle définition », souligne Antoine Idier. Il écrit notamment dans Libération, mais se défie du journalisme professionnel. Ce média de lutte, issu de la contestation maoïste, apporte un ton nouveau et un souffle libertaire. La subjectivité clairement affirmée donne une tonalité gonzo qui réinvente le journalisme.

Les articles proposent des faits, mais aussi des analyses qui portent une vision du monde. « Les articles du présent recueil peuvent se lire comme autant d’expérimentation de subversion radicale des formes d’écriture alors en vigueur », observe Antoine Idier. La brièveté, la spécialisation et la standardisation de l’écriture sont rejetées. Les chroniques sur la télévision parlent moins de la forme de l’émission que du fond du sujet traité. La politique contestataire prime sur la référence au journalisme et à ses codes. Mais Libération rentre dans le rang. Ses interlocuteurs ne sont plus les marges et les luttes sociales, mais le pouvoir et les institutions.

Néanmoins, les articles de Guy Hocquenghem peuvent refléter quelques limites du journalisme. Il privilégie des textes sur l’actualité, des prises de position polémiques et des interventions immédiates. Il manque dans ses écrits le recul de l’analyse et la profondeur de la perspective historique. Guy Hocquenghem ne peut pas être considéré comme un théoricien. Malgré ses réflexions sur les luttes homosexuelles et sa forte critique permanente de la normalité, il ne s’inscrit dans aucune grille d’analyse. Il réagit à l’actualité, souvent de manière courageuse et engagée, mais sans dessiner de perspectives politiques. Il peut même paraître plus contestataire que révolutionnaire. Mais ses écrits restent précieux pour raviver une pensée politique qui prend en compte les désirs et les plaisirs de la vie quotidienne.

SOURCE : zones subversives

 

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