1934-2017 Kate Millett, ce phare féministe, n’est plus
L’auteure de «La politique du mâle» a inspiré des générations de femmes
La politique du mâle, un pavé sorti en 1970, la propulsa en figure du féminisme radical et a inspiré des générations de femmes. Considérée comme la principale théoricienne du mouvement de libération des femmes, Kate Millett incarnait le féminisme de la deuxième vague, celui des années 1960 et 1970. La théoricienne et militante est morte mercredi à Paris où elle séjournait avec sa femme, la journaliste canadienne Sophie Keir, à l’occasion de leurs anniversaires prochains.
Née le 14 septembre 1934 dans le Minnesota, Kate Millett a grandi dans une famille catholique d’origine irlandaise. Son père, un ingénieur alcoolique et violent, abandonne sa mère et ses trois filles quand Kate n’a que 14 ans. Étudiante à l’Université du Minnesota, elle entre au St Hilda’s College à Oxford grâce à la générosité d’une tante riche, puis à Oxford en 1956 où elle se spécialise dans les auteurs victoriens. Elle enseigne brièvement à l’Université de Greensboro, en Caroline du Nord, avant de se tourner vers l’art.
Venue s’installer à New York, elle apprend à sculpter et à peindre, tout en enseignant dans une école maternelle à Harlem. Puis elle décide en 1961 de déménager au Japon, où elle étudie la sculpture. Elle y rencontre le sculpteur Fumio Yoshimura avec qui elle se mariera en 1965. De retour à New York en 1963, elle enseigne l’anglais au Barnard College, tout en préparant un doctorat à l’Université de Columbia. Sa thèse, soutenue en mars 1970, sera publiée chez Doubleday la même année. Kate Millett a commencé à s’intéresser au féminisme quand elle a découvert Le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, pendant ses études à Oxford, « une révélation » (Le Monde du 2 avril 1971). Son Sexual Politics, traduit sous le titre La politique du mâle au printemps 1971 chez Stock, suit d’une poignée d’années l’essai de Betty Friedan La femme mystifiée (1964), qui analysait comment les bénéficiaires de la société de consommation, les magazines féminins et la publicité ont recréé une nouvelle mystique de la femme au foyer.
Se mettre à nu
Dans les semaines qui suivent la parution de Sexual Politics aux États-Unis, Kate Millett se retrouve propulsée sur le devant de la scène. Son essai mêle l’analyse littéraire à la sociologie, la psychologie et l’anthropologie, et définit les objectifs du mouvement féministe. C’est une critique du patriarcat dans la société et la littérature occidentales qui pointe le sexisme de romanciers modernes comme DH Lawrence, Henry Miller et Norman Mailer.
« Être femme ou être homme, écrit-elle, c’est appartenir à deux cultures différentes. » Pour elle, l’explosion de la famille traditionnelle permettra de dynamiter l’oppression politique et culturelle fondée sur le sexe. « Notre mouvement s’étend non seulement dans les universités, mais aussi dans les classes moyennes et chez les femmes au foyer, mais il est vrai que nous avons des difficultés à toucher les milieux ruraux et ouvriers », expliquait notamment la porte-parole du mouvement féministe en 1971 au Monde.
Entre 1974 et 1977, Kate Millett publie deux livres autobiographiques. Dans Flying (1974), « examen de conscience de sa bisexualité », elle se met totalement à nu, expose les souffrances ressenties après le succès et les calomnies qui ont suivi la parution de La politique du mâle, évoque ses désespoirs suicidaires, l’alcoolisme et ses amours. Puis dans Sita (1977), elle explore sa sexualité à travers sa relation avec sa compagne. La cave : méditations sur un sacrifice humain (1979) fait le récit du martyre d’une jeune fille torturée pendant quatre mois et assassinée par la femme à qui on en avait confié la garde.
Contester les étiquettes
Dans En Iran (1982), Kate Millett évoque l’oppression politique qui règne dans le pays depuis l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini. Avec la journaliste Sophie Keir, elle s’est rendue à Téhéran en 1979 afin que le Comité pour la liberté artistique et intellectuelle travaille pour les droits des femmes iraniennes. Elles se retrouvent témoins des manifestations de femmes pour protester contre le port du voile et pour affirmer leurs droits. Juste après son expulsion pour Paris, Kate Millet tient une conférence à la Mutualité fin mars 1979 : « Si les femmes n’obtiennent pas des droits égaux à ceux des hommes, cela ne valait pas la peine de renverser la tyrannie. »
Elle écrit ensuite divers autres romans, dont The Loony Bin Trip (1990), fondé sur son expérience personnelle dans un service de psychiatrie. Kate Millett a été hospitalisée deux fois sans son consentement depuis 1973, diagnostiquée d’un trouble bipolaire. Dépressive suicidaire, elle a pris du lithium pendant de nombreuses années. La militante contestera les diagnostics et les étiquettes, milite dans le mouvement antipsychiatrie, en particulier au MindFreedom International. Elle publiera aussi The Politics of Cruelty (1994) contre la torture et Mother Millett (2002), sur les relations avec sa mère malade. Dans un documentaire de Léonore Paurat, on pouvait l’entendre dire, à 65 ans, un peu sombre : « Rien n’a changé dans ce pays depuis 20 ans, le féminisme n’apporte plus rien dans la vie quotidienne. Et les Américaines risquent toujours de perdre le droit à l’avortement. »