INCENDO
Sur le rapport entre genres & classes. Revue de presse & textes inédits
Consentement & fellation

Tu consens, oui ou non ?

A priori, le consentement c’est simple : «Oui» ? «Non» ? Sauf que… Dans la réalité, les filles qui disent «Oui» passent pour des salopes. Ce qui invalide le sens même du mot «Non». Le film “A Genoux les gars”, actuellement sur les écrans, dissèque l’aporie du consentement avec des mots vrais.

En 2015, dans son film Haramiste (expression forgée sur le mot arabe haram, «interdit»), le réalisateur-scénariste Antoine Desrosières «dévoilait» au sens propre du terme la vie de deux soeurs pas sages, des jeunes filles portant le hijab et parlant sans détour de leur corps, des garçons et de la vie… Trois ans plus tard, les deux soeurs sont de retour, dans une comédie à la fois trépidante et violente : A Genoux les Gars. Les deux soeurs ont grandi. Sans voile, toujours plus fougueuses, les voilà qui cherchent l’amour. Hélas, leurs petits copains sont non seulement machos mais stupides. Ils veulent se faire sucer, une idée fixe. Ce qui donne ce genre de dialogue :

Rim : «Je peux pas le faire.» Son copain : «Mais pourquoi ?»

– Parce que je suis féministe, voilà.

– Ca veut dire quoi être féministe ?

– Ca veut dire que… si j’ai pas envie de te sucer, je te suce pas voilà. Regarde des reportages, renseigne-toi…

– Des reportages sur des meufs qui défilent les seins nus ? Et tu penses qu’elles sucent pas de teub ?

– Ben non.

– Mais en quoi c’est féministe de pas sucer de teub ?

– Ben parce que euhhhh, c’est dégradant. Voilà, c’est dégradant pour la personne qui suce.

– Pourquoi ce serait dégradant pour toi et pas pour moi ?

– C’est comme les Pokemon. Eux ils ont 30 points, tu fais évoluer, ils ont 60. Nous, les humains, on a 100 points. Si je te suce, je vais perdre des points, c’est tout.»

La femme sexuellement active perd en valeur

On pourrait trouver ce dialogue ridicule. Mais il s’appuie sur une vérité : dans la société française (et pas seulement dans les cités), en dépit de l’évolution des moeurs, les femmes restent soumises à des normes sociales contraignantes. Ce n’est pas à la femme de faire des avances sexuelles, c’est à l’homme. Une femme ne doit pas prendre l’initiative. Pire : une femme doit se refuser, sinon elle passe pour «facile». «Il y aurait une inadéquation entre féminité et désir sexuel affirmé», explique Michel Bozon. Sociologue, chercheur à l’INED, il est l’auteur, avec Nathalie Bajos, d’une énorme enquête sur la sexualité en France dont les résultats sont édifiants : dans les années 2000, deux tiers des Français (tous sexes confondus) sont d’accord pour dire que «par nature», les hommes ont plus de besoins sexuels que les femmes. «L’idée dominante, qui rencontre l’approbation de certains psychologues, est que les femmes manifestent avant tout un désir réactif ou subalterne, activé par la demande des hommes. Ces derniers seraient, quant à eux, sous la dépendance de pulsions impérieuses.»

Si dire «Oui», c’est être une pute… a-t-on le choix ?

Pour la majorité des Français (hommes et femmes), le désir de la femme est «réveillé» par celui de l’homme. Ce qui revient implicitement à dire que l’homme doit être actif dans la relation : à lui de stimuler la femme, à lui de souffler sur les braises. A lui d’imposer son désir, jusqu’à ce que s’éveille celui de la femme (jugé plus lent à la détente)… «Cette représentation est en fait un mot d’ordre», affirme Michel Bozon qui voit dans cette dichotomie homme-femme des constructions sociales profondément inégalitaires : d’un côté la femme serait sexuellement engourdie (irrésolue, voire apathique), d’un autre côté l’homme serait hyper-réactif (ardent, prompt à s’enflammer)… Cette répartition des rôles peut sembler périmée, mais elle prévaut encore de nos jours à un point tel que le mot «salope» vient presque immédiatement en tête lorsqu’une femme sort du rang.Gare aux fauteuses. La condamnation morale pèse lourdement sur celles qui proposent de tirer un coup. Celles qui affichent leurs goûts sexuels. Celles qui disent «Oui» trop rapidement. Ce ne sont pas de vraies femmes. Ce sont des putes. Quant à celles qui disent «Non» ? Plusieurs interprétations sont possibles.

Si dire «Non» est la norme, «Non» veut-il dire «Non» ?

Quand une femme dit «Non», l’homme peut l’interpréter en ces termes : «Elle attend que je la chauffe. Elle a besoin d’être “réveillée”». Une autre interprétation possible : «Elle dit “Non” parce qu’elle a peur pour sa réputation. Elle doit sauver la face. Mais, au fond, ce qu’elle désire c’est un mâle, un vrai, qui ne tienne pas compte de sa résistance.» «La pudeur est féminine», résume Olivier Sabarot. Dans un article intitulé Séduire : agresser ou charmer ?, Olivier Sabarot décrit bien ce qui est attendu de la femme : qu’elle préserve son honneur. «Le refus doit être obstiné», dit-il. Par opposition, l’homme doit insister. «La brusquerie des garçons est considérée avec complaisance.» Dans ces conditions, comment parler de consentement éclairé ? La construction sociale des genres, dans notre société, veut que les femmes se refusent (feignent de résister, suivant les conventions morales de rigueur) et que les hommes les prennent d’assaut (prouvent leur virilité en parvenant à leurs fins). C’est totalement incompatible avec la notion même de consentement : comment faire dire «Oui» à une femme qui a été éduquée à dire «Non» ?

La séduction virile : une agression codifiée et légitimée

Pour le sociologue Philippe Combessie, connu pour ses recherches sur les “sexualités négociées”, «la construction sociale des genres» entre en contradiction flagrante avec l’idéal d’une sexualité librement consentie : «Les hommes sont traditionnellement invités à prendre l’initiative, voire forcer l’autre dans ses retranchements. Les femmes, à l’inverse, sont classiquement éduquées à ne jamais prendre elles-mêmes les devants, au risque, leur dit-on parfois “de passer pour une pute !”. Dans les romans, les films, les séries télévisées ou dans les relations interpersonnelles (entre copines, entre anciennes et plus jeunes), on leur conseille même de se montrer passives, voire réticentes devant les avances masculines, afin que l’“honneur soit sauf”.» Etant donné qu’elles sont tenues de dire «Non», ce «Non» n’a aucune valeur. Les injonctions sociales dominantes invalident complètement la signification du mot «Non» dès lors qu’il est prononcé par une femme. Les garçons un peu machos ne s’y trompent pas, qui ne cessent de harceler les filles, exigeant des explications («pourquoi Non ?»), la forçant à avouer qu’elle a peur du on-dit… Ce qui est déjà une manière de vaincre ses résistances. Son «Non» n’est pas considéré comme légitime. Il faut une bonne raison.

Dire «Non», c’est aussi un moyen de négocier

Obtenir un consentement clair et transparent («Oui») se double d’une difficulté supplémentaire : les filles sont éduquées à négocier leur sexualité. Pour Philippe Combessie, la question du «consentement» se trouve «souvent délicate à appréhender dès lors que les personnes concernées sont en dissymétrie de position (d’âge, de statut social, de revenus, de hiérarchie…).» Problème : lorsque les femmes se trouvent en position d’infériorité, elles n’hésitent pas à se conduire ainsi qu’on leur a appris, sans penser à mal. Elles sont prêtes à offrir une pipe en échange d’un service, d’une sécurité matérielle, d’une protection, d’un promesse d’engagement. Leur corps est une ressource. Ne le leur dit-on pas depuis qu’elles sont petites : «Les garçons ne pensent qu’à ça, méfie-toi». Sous-entendu : toi tu es la proie. Tu dois gérer ton capital “viande”… Dans ces conditions, il est vain de penser que le consentement pourrait être facilement demandé et obtenu. Puisqu’une femme ne saurait consentir sans rougir : «Oui», ne se dit pas. Quant à «Non», si la femme est un état d’infériorité, il ne se dit pas non plus. Il s’agit de rester féminine. Entendez par là : maline.

.Tous ces sujets –très librement abordés dans le film A Genoux les Gars– mériteraient d’être discutés avec ceux et celles à qui le film s’adresse en première instance : les garçons et les filles, âgés de 13 à 17 ans. Ca tombe bien : le film est passé d’un classement «interdit aux moins de 16 ans» (!?) à un classement «interdit aux moins de 12 ans, avec avertissement». Ouf ! Il s’avère qu’aujourd’hui même, mercredi 27 juin, Antoine Desrosières commence la diffusion gratuite sur youtube, d’une série de 30 épisodes de 10 mn, développés à partir de A Genoux les Gars. «Le but est notamment de toucher les adolescents ceux pour qui la question du consentement n’est pas au clair.» A raison d’un épisode par semaine, la série s’étalera jusqu’à décembre 2018.

SOURCE : Les 400 culs

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